Jérôme Sueur
Les liens du son
Bruissements de la nuit, rires des animaux, grognements des poissons… Jérôme Sueur met la nature sur écoute. Professeur, chercheur, chroniqueur, auteur, cet éco-acousticien transmet sa passion du son, invitant chacun à s’arrêter pour écouter le vivant et à s’y (re)connecter.
À cinquante ans, Jérôme Sueur est posé. Comme les micros qu’il installe un peu partout. Rien d’illégal pourtant. Parce que ce que capte le Cachanais, ce sont les sons des milieux naturels. S’il parcourt le monde pour les enregistrer, moins maintenant pour des raisons évidentes d’empreinte carbone, c’est à Cachan qu’il vit depuis 8 ans. Une ville « multiculturelle, à dimension humaine, avec une âme de village et avec une communauté de chercheurs », comme lui. Pionnier de l’étude des paysages naturels onores, Jérôme est le concepteur de l’éco-acoustique. Une discipline scientifique codifiée en 2014 lors d’un colloque organisé au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN). Son principe : observer sans être là. « On pose des micros et puis on s’en va. »
Vocation
C’est le hasard qui a conduit cet homme de terrain à créer le labo d’éco-acoustique du MNHN. Y travailler était la « réalisation d’un rêve de jeune adulte, après un parcours scientifique classique. » Jérôme a aussi « toujours eu une grosse appétence pour le son », sans pour autant être musicien, « même si je suis élève au conservatoire de Cachan », s’amuse-t-il. Le son a même « un peu guidé [s]a carrière dans la science », débutée par la bioacoustique*. Un jour, il collabore avec une collègue dont les recherches consistent à estimer la biodiversité par les mathématiques. Alors pourquoi ne pas combiner les questions d’écologie scientifique avec l’acoustique ? Sans savoir ce qu’il va trouver, il se lance. L’arrivée de magnétos automatiques dans le même temps l’a bien aidé. « En fait, j’étais un peu au bon endroit, au bon moment », confie-t-il humblement. Bilan aujourd’hui, ils sont une petite vingtaine d’éco-acousticiens en France. Leur expertise intéresse beaucoup, et de plus en plus, l’Office Français de la Biodiversité, les chercheurs, gestionnaires d’espaces protégés, experts de bureau d’études et médias. Jérôme est d’ailleurs l’invité régulier des studios radio et plateaux télé, notamment pour ses ouvrages. Dernière apparition en date à la Grande Librairie pour Histoire naturelle du silence (éd. Actes Sud, 2023). Une invitation à l’écoute de la nature, mais aussi de soi et des autres, sublimée par un amour de la littérature. Hérité d’un père, « très littéraire », auteur pour les guides verts Michelin. Parfois, il lui arrive également de prendre le micro quand il se fait chroniqueur à France Inter (La Terre au carré, Le temps d’un bivouac).
Transmissions
Entre deux livres en cours d’achèvement, il a engagé, avec des gestionnaires d’espaces naturels, le projet sono-sylva pour enregistrer plus de cent forêts de France métropolitaine. Objectifs : « estimer la composition de leurs paysages sonores et évaluer l’intrusion sonore humaine dans ces milieux censés être protégés. » Après avoir récolté plus d’un million de sons, viendra le temps de l’analyse. « L’idée est aussi de valoriser ce patrimoine sonore, de sensibiliser gestionnaires et visiteurs à la richesse sonore du vivant. » Car déformation professionnelle ou éco-anxiété, peut-être les deux, ce professeur « aime rendre réceptif » et inviter à s’arrêter pour « écouter et percevoir d’une autre manière. Quand on écoute, on change de posture. On doit se mettre dans des conditions de calme. On est obligé de se taire et de s’immobiliser ». S’il reconnaît avoir le privilège de pouvoir écouter la nature dans son jardin, il assure qu’on « peut écouter des sons dans la ville. Il suffit d’aller les chercher dans les parcs et autres espaces verts. Pour peu qu’on sache être attentif. Et puis, il y a aussi les nuits. Pas la peine de sortir tard pour écouter un Cachan différent, notamment dans les petits passages comme celui du quartier du Côteau », à la condition de… chuuut.
Bio express
2022/2023 : Conseiller scientifique de l’exposition Music Animale à la Philharmonie de Paris
2022 : Premier ouvrage Le son de la Terre (éd. Actes Sud)
2020 : Participation au projet collaboratif Silent·Cities pendant le confinement depuis son jardin à Cachan
2014 : Création de l’éco-acoustique et de son laboratoire
2007 : Entrée au Muséum national d’Histoire naturelle
2002 : Diplôme de Docteur es Sciences
1972 : Naissance à Meudon